Après
Léon, c'est l'ordinateur qui m'a lâchée.
Ma
nouvelle tablette ressemble à celle sur laquelle Léon écrivait sur
la toile cirée de la cuisine. En beaucoup plus propre et sans les
miettes de pain collées au clavier qui ne l'ont jamais dérangé.
Elle
réagit beaucoup plus vite aussi. Le vieil ordinateur mettait des
plombes à délivrer l'actualité. Alors pour regarder des photos ou
écouter de la musique, il fallait l'allumer le matin en espérant
qu'il le soit toujours le soir en rentrant du travail. Les dernières
semaines, l'écran ne montrait plus que de jolies rayures de couleur.
Après avoir tenté en vain plusieurs restaurations, il a fallu se
rendre à l'évidence et me résoudre à le reléguer dans le placard
sous le lavabo avec les produits ménagers et la multitude de
garanties d'un autre temps dont j'ignore totalement à quels
appareils elles se rapportent.
Avant
qu'il ne rende totalement l'âme, j'avais toujours pour me tenir
compagnie la radio (pardon aux camarades grévistes mais je me suis
retranchée sur RFI) et les journaux papier (longue vie à Politis et
au Canard Enchaîné). Curieusement, cela demande toutefois plus de
concentration et il est surtout très difficile de ne pouvoir
partager ce goût amer qui persiste dans votre bouche en écoutant
les nouvelles du monde quand vous n'avez pas de camarades syndiqués
pour en papoter au travail ou un Léon le soir pour vous en faire de
savoureuses analyses.
Aujourd'hui
face à ma nouvelle tablette connectée au monde, j'en ai même
oublié de me laver les dents.
Je
pense à vous dans les montagnes de Sanaa, femmes oubliées du monde,
à cette petite fille qui gardait une vache et son veau sur un chemin
envahi par les nuages, aux enfants et aux hommes de ce village où
coulait un si petit ruisseau. Aux danseurs célébrant un mariage
entre musique et tirs. A ceux couchés sur la place principale près
du marché. A la femme du boulanger dont la photo avec son bébé
reste bien cachée, promesse de ne pas la montrer à son entourage …
A Mohamed qui devait se marier avec une femme parce qu'elle plaisait
à sa mère. Notre discussion qui a duré toute la nuit aux deux
extrémités de la tente. Tu avais tant de questions à propos des
femmes et je n'avais aucune réponse. Yemen mon amour
Je
pense à ces deux femmes en haut de la ruelle à Homs. Visages
découverts l'espace d'un instant, se tenir les mains, se toucher et
tout se raconter avec la profondeur d'un regard. La photo de tes deux
fils que tu voulais que je prenne pour qu'ils aillent vers ce que tu
leur souhaitais de meilleur. Toi, le jeune étudiant qui a arrêté
ma course triste quand je devais vous quitter et dont les nouvelles
se sont tues depuis les bombardements.
Je
pense à cette fête de fiançailles dans un village kurde en bas du
krak des chevaliers. Cette ronde avec les hommes qui n'en finissaient
pas et les femmes qui observaient au milieu des rires avant de venir
nous chercher. Syrie mon amour.
Je
pense à cette ronde avec ces petites filles en Iran au milieu des
montagnes avant de descendre l'éboulement et de traverser la rivière
grâce aux hommes du village d'en haut. A cette vieille femme qui m'a
regardée avec tant de tendresse que le souvenir des larmes est resté
intact. Je pense à Hamid, véritable père poule et boule de
tendresse. A cette famille arménienne … Aux étudiantes de
Téhéran. A ces jeunes filles qui allaient à la synagogue. A ce
peintre révolté dont je conserve précieusement l'affiche. Iran mon
amour.
Je
pense aux balayeuses de rue de Sarmarcande … les petits polaroids
valaient largement tous les musées du monde. Ouzbékistan mon
amour.
Vous
tous qui m'avaient tellement donné, entre les guerres pour protéger
l'accès au pétrole et les coalitions d'enfumage pour monter la
sauce en guerre de religions, aurez-vous seulement une petite chance
d'en sortir vivants !!!
Paulette
http://www.medelu.org/Comment-vraiment-combattre-l-Etat
RépondreSupprimerYémen, le cri des femmes :
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=wSD0t8_pKaI