Je ne crois pas vous avoir jamais parlé
de la cousine Jeanne. La cousine Jeanne est une charmante vieille
dame, qui a deux passions : la galette et la bande dessiné.
La cousine Jeanne qui séjourna enfant
à Arcueil a toujours entendu des voix. L'une d'entre elles lui
conseilla quand elle était jeune fille d'émigrer à Tours, plutôt
que de continuer vers Orléans ce qu'une de ses aïeules avait
regretté amèrement en son temps. Aussi, s'installa-t'elle dans une
petite maison aux volets de bois peints par un voisin du nom de
Léonardo de Vinci. Elle ne voyagea jamais et n'eut donc pas besoin
d'apprendre l'anglais évitant par là-même de se fâcher avec la
branche orléanaise de la famille beaucoup plus rancunière.
La cousine Jeanne confondait les dates.
Aussi, quand elle me téléphonait en ce début de semaine me
demandant, après avoir écouté "Radio Béton" de venir
avec elle pour participer au célèbre festival de BD "A Tours
de bulles", aurais-je dû me méfier.
Me voilà donc parti de bon matin pour
voyager par chemin de fer porter la galette et le bocal de cornichons
malossol à cousine Jeanne. Je me chargeais également d'un peu de
saucisson casher indispensable à la survie de tout bon explorateur
ainsi que rapporté par Marco Polo.
Je quittais la capitale, heureuse et
insouciante en pensant à ces trois heures où je pourrais profiter
du paysage défilant pour une trentaine d'euros sous mes yeux grâce
au Train Express Régional, le seul qui vous apprenne le sens de la
solidarité et du respect en s'arrêtant dans toutes les gares.
En arrivant à la gare de Tours, le
parking où Jeanne m'avait dit m'attendre était désert. Au bout de
20 minutes, je me décidais à rallier la maison à pied.
Je me disais que Jeanne avait eu raison
de m'inviter en voyant l'affiche du festival de BD et puis j'aperçu
ce que je pensais être le tournage d'un de ces films avec Rambo ...
il y avait des hommes costumés en CRS, une vitrine de magasin où
l'on pouvait trouver toutes sortes d'armes et une affiche curieuse
conseillant à des soldats armés jusqu'aux dents d'aller à la
pêche.
Ils avaient même poussé le vice à
reconstituer la façade comme s'il y avait un congrès du ... un
congrès ... je me souvenais alors du billet que j'avais lu sur
Médiapart ... le congrès du Front National. C'était donc cela, un
immeuble protégé par des CRS, des journalistes en nombre et des
participants qui arrivaient comme s'il s'agissait d'aller au théatre
assister à n'importe quelle pièce.
Je croisais un survolté qui
questionnait les passants, les CRS, les policiers et les
journalistes. Pas loin de 800 personnes et un hélicoptère pour
assurer le bon déroulement du couronnement de Marine Le Pen.
La boulangerie qui vendait de gros
gâteaux était ouverte. Pas besoin de fermer le rideau de fer.. Les
petits cars blancs des CRS bordaient toutes les rues. J'entrais pour
acheter une galette et en ressortait avec deux plus une bouteille de
cidre. De l'autre côté du trottoir, Gueule d'Ange me fit un
sourire. A l'intérieur du car, ses camarades tapaient le carton en
écoutant ... mais où sont passées les gazelles ...
C'était la première fois que j'osais
regarder un CRS. Il avait les dents blanches bifluorées. Je lui dis
que j'apportais du saucisson cacher et un bocal de cornichons à ma
tante Jeanne. Et puis devant tant de banalité nous commençames à
partager ces victuailles tout en parlant du sens qu'on donnerait à
la vie. C'était un non sens, une absurdité, une banalité, un
crève-coeur ... nous finimes la galette, il ne restait plus que des
miettes.
Je me suis retrouvée devant la gare
pour reprendre le 1er TER venu.
J'avais très mal au ventre. Je n'avais
pas eu peur.
Ils avaient tiré au canon à eau sur
1800 manifestants : j'avais vu la vidéo sur Libé Orléans.
Ils avaient réussi à instaurer la
paix absolue sur la ville : Le congrès du FN dont rien de nouveau
n'allait sortir comme une concession nécessaire à la démocratie
!!!
Paulette
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